dimanche 20 mai 2007

638 - Bonheur tranquille au village

Du haut du clocher où il admire le paysage, le bedeau maudit le curé dont il entrevoit la silhouette dans une ruelle. Ombre furtive et sinistre qui contraste avec l'atmosphère joyeuse du village... L'été est éclatant, l'horizon s'étend devant lui, à perte de vue. Il respire l'air avec gaîté, enivré par les senteurs de flore et d 'azur. Son regard se noie avec délices dans les brumes chaudes qui déforment les étendues incertaines dans le lointain. En bas il voit toujours le prêtre. Plus loin la Fanchon coupe de l'herbe.

Quittons les hauteurs de l'épieur, assistons de plus près à l'ouvrage de Fanchon... Elle est laide, fortunée, héritière de plus beau domaine de la paroisse. Un vélo passe près d'elle. C'est le bûcheron. Une brute sournoise passionnément éprise de gnôle. Aimé de Suzanne, dites "Suzie la putain" selon les mauvaises langues, il affectionne plus la compagnie des arbres que celle de sa "Suzie". Son point fort : ses poings. Il cogne. Hommes et femmes. Il est respecté dans le village.

Revenons à l'abbé. Fin, racé, sévère, c'est un homme d'esprit. Un océan le sépare de ses ouailles. Le coeur pur, pétri de noblesse, il a cependant une fâcheuse tendance à aimer plus que chaleureusement la fille du fermier Claude, jolie plante de 22 ans aux appas inexistants. Le fermier Claude est un gentil boeuf avare et travailleur, sobre, peu causant mais plein d'affection pour ses amis. Un brave type.

Mais la cloche sonne à l'école communale. C'est la récréation. Les enfants sont excités : un mendiant longe le mur de l'institution. Il reçoit quelques cailloux sur le dos sans broncher. Sourd, il n'entend pas les moqueries de certains enfants plus cruels ou plus délurés que d'autres.

Les fermières sont à leurs ouvrages ou bien flânent. Ça souffle, maugrée, bavarde sous les toits de chaumes, dans les chemins creux, au fond des poulaillers.

La vieille Bergerette, aussi féroce qu'à l'accoutumée et un peu dérangée, vient de menacer de mort par trépanation précipitée le fils de l'épicier âgé de cinq ans, échappé de la cour de récréation. Le saint homme en soutane qui la croise tente de l'apaiser et ne récolte que des injures qui choquent même le bedeau, toujours embusqué dans son observatoire en compagnie des cloches.

Midi. Certaines cuisines empestent, d'autres exhalent d'exquises promesses potagères... Le maire vient gronder avec bonhomie la vieille méchante. Cette dernière répond par un coup de canne qui aurait pu être mortel à l'élu, tandis que des canards mêlent leurs cris aux plaintes des ânes.

Ainsi en va-t-il des affaires quotidiennes, tragiques et insignifiantes de ce village sans nom, que nous appellerons cependant "Trifouillis-les-Hirondelles".

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